Allez j'ai retrouvé les échanges épistolaires avec le principal de l'époque.
Suffit de lire pour comprendre l'histoire.
LETTRE RECOMMANDEE AR du principal
Madame,
J’ai été tenu informé de votre récente intervention auprès de Monsieur ALEMANY, Professeur d'Espagnol de l’établissement que je dirige.
Vous avez en effet contesté les observations faites à votre fille Laureline qui avait été incorrecte à l'égard de son professeur. Votre enfant avait d'ailleurs reconnu son impolitesse et acceptait de présenter des excuses suite à ma demande.
Je tiens à vous exprimer mon étonnement en constatant le soutien que vous avez apporté à Laureline. Cela est préjudiciable à l'action éducatrice menée par le professeur, discrédite l’enseignement d'une discipline indispensable à la poursuite des études et ne contribue pas efficacement à la formation de la personnalité d'une adolescente.
Je vous prie de croire, Madame, à l'assurance de ma considération distinguée.
Le Principal
Serge MARTIN
MA Réponse
Lettre recommandée avec A.R.
Bois-le-Roy, le 03/05/96
Monsieur le Principal,
Votre lettre datée du 2 mai sous la référence SM/MCD/8/11 m'a surprise à plus d'un titre.
La première phrase, déjà: "J'ai été tenu informé de votre récente intervention auprès de M. Alemany...": la tournure de phrase est excellente. J'entends, d'un point de vue humoristique.
Le moins que l'on puisse dire, effectivement, est que vous avez été "informé", puisque, nous trouvant dans la salle des professeurs avec Mme Miot, sa fille aînée, sa fille Gwenaëlle, ma fille Laureline et moi-même ce soir là, vous êtes inopinément arrivé dans cette salle et avez même échangé des mots avec nous.
Etant donné que les circonstances vous ont rendu témoin de la fin de cet entretien avec M. Alemany, on peut dire que l'information était de première main!
C'est pourquoi la première phrase de votre lettre me semble teintée d'un grand humour.
A moins que cette formule soit générée par une perte de mémoire de votre part?
Dans ce cas, outre le conseil amical de vous faire prescrire une cure de magnésium, je vais me permettre de vous la rafraîchir:
Le jeudi 4 avril, aux environs de 17 heures 30, vous êtes entré dans la salle des professeurs où se trouvaient les personnes susnommées.
La fille aînée de Mme Miot (femme majeure et responsable), venue en tant que porte-parole de sa mère, laquelle sortait d'une hospitalisation qui l'avait affaiblie, vous a demandé d'annuler l'avertissement solennel qu'avaient reçu les deux élèves. Vous lui avez répondu, en substance, qu'il n'en était pas question. Mais de votre réponse, je n'ai retenu qu'une chose: le ton employé.
Vous avez aboyé, comme vous devez certainement aboyer en vous adressant au plus insupportable des élèves: le ton de l'adjudant s'adressant à la recrue, du garde-chiourme au détenu, du Kapo au déporté!
Une telle incorrection, qui plus est face à des parents d'élèves, m'a profondément choquée. Pour moi, elle est bien plus grave que la soi-disant "incorrection" que Laureline et Gwenaëlle auraient eue face à leur professeur d'espagnol.
Ensuite, vous n'avez enfin daigné répondre aux questions qui vous étaient posées, qu'en nous avertissant que vous ne seriez disposé à y répondre que quand nous aurions pris rendez-vous, et que vous n'en parleriez avec nous qu'à l'heure du dit rendez-vous, dans votre propre bureau.
Ce à quoi j'ai répondu: "A quoi bon, quand on veut prendre rendez-vous avec vous, vous nous remettez aux bons soins de votre adjoint, je le sais, cela m'est déjà arrivé. "
Quelque vingt minutes plus tard, au moment où nous avions franchi le seuil du bâtiment, vous m'avez rattrapée afin de me déclarer: "Je me souviens parfaitement: si, quand nous avons eu rendez-vous, j'ai tenu à ce que M. Béquet soit présent, c'est que le ton insolent de votre lettre m'avait incité à vouloir avoir un témoin à notre entretien".
Ce à quoi je vous ai répondu: "Non seulement il était témoin, mais il était bien le seul, vous n'aviez même pas daigné assister à 1 'entretien!"
Commentaire personnel: quand on tente d'asséner un argument choc à quelqu'un, on fait en sorte que cet argument soit valable, cela évite le ridicule.
Quant au mot "insolent" que vous avez employé à mon endroit, je vous signale que j'ai dépassé depuis belle lurette l'âge d'être assise sur les bancs d'une classe; de ce fait, je suis une adulte, majeure, et à ce titre, que l'expression, aussi virulente soit-elle, d'une opinion personnelle, soit qualifiée d'insolence, semble le syndrome inquiétant d'un autoritarisme caractérisé: Monsieur le Principal vous ne dirigez que votre établissement, pas les cerveaux des parents d'élèves.
La tournure de cette première phrase de votre lettre, est donc, soit l'expression d'un grand sens de l'humour, soit la manifestation d'une perte de mémoire, soit... un pur témoignage d'hypocrisie.
Dans le deuxième paragraphe de votre lettre, vous dites que mon "enfant avait d'ailleurs reconnu son impolitesse..."
Vous l'aviez effectivement convoquée dans votre bureau: une gamine de 16 ans à peine, face à vous, campé derrière votre imposant bureau directorial, usant de votre aboiement péremptoire (et pourquoi en serait-il autrement, vous l'employez bien face aux parents d'élèves?), elle, obligée de rester debout, malgré une souffrance au genou dont elle vous a informé : à sa place, n'importe qui avouerait n'importe quoi.
Vous êtes enfin étonné que je soutienne ma fille, soutien qui, d'après vous, "est préjudiciable à l'action éducatrice menée par le professeur".
Parce que, d'après vous, un professeur auquel nous avons réussi à faire dire que, pour éviter le zéro qu'elles ont eu (et qui est à la base de leur mécontentement), les deux filles auraient dû se taire dans leur coin et ne pas faire l'exercice demandé, fait preuve d'action éducatrice?
Belle action éducatrice, en effet! La leçon qu'elles en ont tirée, est que, pendant les cours d'espagnol, mieux vaut faire n'importe quoi silencieusement puisque tenter de faire, en parlant de la chose, un exercice d’espagnol, peut amener les pires désastres.
Car M. Alemany n'aime pas les décibels. La seule incorrection, pour lui, réside dans les décibels. Alors, depuis, les filles bûchent leurs annales de Brevet pendant les cours d'espagnol, et elles ont une paix royale! Belle action éducatrice, pour cette: "discipline indispensable"!
Quant à la formation de la personnalité d'une adolescente, sachez, Monsieur le Principal, que le respect des membres du corps enseignant fait partie des fondations de l'éducation que j'ai pu donner à mes filles. Le contraire serait regrettable, étant donné que j'ai été moi-même normalienne, institutrice et professeur, que mon père a été instituteur puis professeur, ma mère institutrice, professeur puis directrice d'école maternelle, que mon grand-père paternel fut normalien au début du siècle, puis directeur d'école, et ma grand'mère paternelle institutrice.
Vous pouvez d'ailleurs demander à tous les autres professeurs (très bons, voire excellents, au demeurant) que Laureline a eus depuis qu'elle fréquente votre établissement, quelle fut et est son attitude face à eux, et vous verrez que l'on souhaiterait avoir plus souvent des élèves de cette trempe dans un établissement scolaire.
Le problème est que Laureline a trop de bon sens pour supporter la bêtise, que celle-ci vienne de ses camarades de classe ou... d’un professeur.
Et cette intelligence-là m'honore en tant que mère.
Veuillez recevoir, Monsieur le Principal, l'expression de ma considération.
Jamais eu de réponse!